Désertique







Deux hommes : Sam et Seb (puis un autre homme)

 





Sam : Je t’en voudrai toute ma vie.

Seb : Arrête, ce n’est pas seulement de ma faute ! Je te signale que c’est toi qui as eu l’idée de partir en vacances dans le désert.

Sam : Et c’est qui qui a voulu faire une pause derrière un rocher pendant que le guide et le groupe avançaient, hein ?

Seb : Bah, c’est tellement rare de croiser un coin d’ombre, ici !

Sam : Et c’est qui qui s’est rendu compte qu’y avait un problème à sa bottine et qui a voulu la réparer ?

Seb : Je n’aurais pas su marcher en sachant que ma bottine allait se casser d’une minute à l’autre si je ne recollais pas la semelle.

Sam : Pfff, mais qui se balade avec de la colle dans son sac à dos, sérieusement ?

Seb : C’est qu’un tout petit tube, ça prend pas de place, et tu vois ça m’a été utile !

Sam : Enfin bref on est là à marcher comme deux idiots dans ce four, paumés comme jamais.

Seb : Mais non, on n’est pas paumés !   

Sam : Ah non ? Ça fait bien deux heures qu’on ne sait pas dans quelle direction on va. Tout se ressemble ici !

Seb : … Ouais. En plus, nos gourdes se vident plus vite que prévu.

Sam : On va crever ici comme des cons, à cause de toi ! On va bientôt ressembler à deux raisins secs.

Seb : Oh non, ne dis pas ça ! Arrête de dire que c’est ma faute ! Je suis tellement désolé ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Sam, pardonne-moi !

Sam : Relève-toi enfin ! Tu n’es pas en train de pleurer quand même ?

Seb : Je veux paaas qu’on meurt à cause de moiii !!

Sam : Arrête de pleurer ! Tu vas t’assécher encore plus!

Seb : Tant mieux, je mourrai avant toi comme ça !

Sam : Non, aller, dis pas ça Seb, on va s’en sortir !

Seb : Tu crois ?

Sam : Oui, aller viens, faut qu’on avance.

(Une demi-heure plus tard)

Seb : Aaah j’ai trop chaud ! J’en ai marre !

Sam : J’ai plus de force… Mes lèvres se craquent comme du biscuit. J’ai mal à la tête.

Seb : Ma gourde… Faut qu’on boive un peu !

Sam : D’accord, juste une gorgée.

Seb : Han, ça fait tellement du bien !... M’en fou, j’bois tout !

Sam : Nooon, arrête, fais pas ça !!

Seb : Trop tard.

Sam : Punaise, t’es vraiment stupide ! Qu’est ce qu’on va faire maintenant, hein ? Je te préviens, le fond de ma gourde est pour moi !

Seb : Oh, non, non, non… Qu’est-ce que j’ai fait ? La chaleur me rend stupide, t’as raison.

Sam : Olala… On n’ira pas loin avec toi.

Seb : Bouhouhou, ma mère va être toute seule ! Elle va m’en vouloir de m’être laissé mourir dans le désert.

Sam : Non, tu ne vas pas mourir ici, je te dis ! Aller, relève-toi où je te fous une gifle.

(Encore une demi-heure plus tard)

Sam : Regarde le ciel… Y a des taches noires dans le ciel !

Seb : Ah oui ? Ah. Le sable est de plus en plus mou, c’est chiant.

Sam : Et puis ma gorge ! Oh, ténèbres ! Le ciel, les taches noires dans le ciel, elles me regardent comme si j’étais une épice.

Seb : Une épice ? Pourquoi une épice ?

Sam : Je ne sais pas, le ciel veut nous manger, regarde ! Il va nous manger !

Seb : Je ne sais pas très bien si j’ai faim ou si je dois vomir…

Sam : Peut-être les deux. Tu as vu l’air ? Il ondule, comme au dessus d’un grille-pain.

Seb : Ah oui. Moi aussi j’ondule comme ça ?

Sam : Ah oui. En fait, t’es beau je trouve.

Seb : C’est gentil. Je n’ai jamais eu de copine. C’est con, si je meurs…

Sam : Moi j’en ai eu une, elle avait des belles fesses. Mais elle parlait trop souvent de son chat et de ses fringues. Un jour, elle m’a largué, parce que je ne faisais jamais rien pour lui faire plaisir, d’après elle. Ce n’est même pas vrai, je lui laissais le choix des films le soir, et je l’écoutais parler de son chat et de ses fringues.

Seb : Au moins, toi, t’en a eu une.

Sam : Tu ne t’es jamais dit que tu étais peut-être homo ?

Seb : Ah non, je ne suis pas homo, c’est sûr ! J’ai déjà été amoureux de plein de filles, et jamais de garçons, donc tu vois ?

Sam : Dommage, j’aurais bien aimé être aimé une dernière fois par quelqu’un.

Seb : tu voudrais que je sois amoureux de toi ?

Sam : Oui.

Seb : J’ai trop soif pour pouvoir ressentir un sentiment si complexe de toute façon !

Sam : T’as raison, c’est trop difficile d’aimer dans ces conditions.

Seb : On va crever en tant qu’amis, c’est beau aussi, non ?

Sam : Oui, c’est beau. C’est émouvant ! Je suis fatigué ! Seb, j’en peux plus.

Seb : On s’arrête ?

Sam : Oui. Faut qu’on se couche.

Seb : Regarde, d’habitude c’est dans la neige qu’on fait l’ange, mais là c’est dans le sable.

Sam : Ah, oui, c’est marrant. Le sable est trop chaud, mais c’est marrant.

Seb : Ça rime, ce que tu dis. Regarde, le sable colle à mon dos trempé de sueur.

Sam : Oh ça aussi c'est marrant tiens. Qu'on est bête ! Regarde, le ciel va vraiment nous manger !

Seb : mais non ne t’inquiète pas, viens-là mon ami, tu as besoin d’un contact humain pour te réconforter.

Sam : Non, arrête de me serrer, j’étouffe ! Tu sais, en fait on va finir par ressembler à du chocolat fondu.

Seb : Alors là oui, le ciel nous mangera vraiment.

Sam : Oh mon dieu ! Dis-moi si ma peau commence à se noircir, hein !

Seb : Je ne vois pas bien, mais je ne crois pas. J’ai trop faim et soif ! T’imagines si le sable était mangeable ? On serait tiré d’affaire… Faut qu’on essaie, on sait jamais.

Sam : Alors ?

Seb : Pffha non, c’est dégueu, beurk ! J’en ai partout dans la bouche !

(Une demi-heure plus tard)

Sam : Seb ?

Seb : Oui ?

Sam : Ça va ?

Seb : Ça va. J’arrive plus à ouvrir mes yeux. Si je les rouvre, je vois ma mère.

Sam : Dis, je peux te demander une dernière faveur ?

Seb : Tout ce que tu veux, mais sache que mes mouvements sont un peu limités.

Sam : J’ai toujours voulu mourir en riant. Alors, quand tu vois que je meurs, fais-moi rire un bon coup, d’accord ?

Seb : Et si je meurs avant toi ?

Sam : Alors, je devrai me faire rire moi-même… Ça ne va pas être simple.

Seb : Surtout que mourir n’est pas spécialement rigolo…

Sam : Oui en plus…  Je ne veux pas mourir. Je suis jeune quand même, non ?

Seb : t’es né quand ?

Sam : … Oh, ne me demande pas autant d’effort de concentration !

Seb : Ooooh… Sam ?!

Sam : Quoi ?

Seb : J’attendais le moment où j’aurais des mirages, comme dans les films… Eh ben, je crois que j’en ai un.

Sam : T’as encore la force de lever la tête pour voir quelque chose, toi ?

Seb : Oui, je vois au loin des ânes avec des hommes qui marchent à côté. Ils viennent vers nous, ils viennent nous sauver.

Sam : Dommage que ce n’est qu’un mirage.

Seb : Oui, dommage. C’est fou, je n’imaginais pas qu’un mirage puisse paraître si réel !

Sam : La chaleur de la terre. Wah, c’est dingue comme notre Terre est cruelle ! Laisser crever deux hommes innocents, ici, c’est dur de sa part.

(Dix minutes plus tard)

Sam : Tu penses à quoi ?

Seb :…

Sam : Seb ? Hé, gros ! Youhou ! Ah non hein, ah non non pas ça !

Seb : Quoi ?

Sam : Oh mec, tu m’as fait peur !

Seb : Je pensais à des petits lutins, qui rentrent dans les maisons des gens pour leur voler des savons. Chez moi, y a toujours trop de savons en réserve.

Sam : Ah ?... Dis, tu n’entends pas des voix  au loin ?

Seb : Oh si, tiens… Si j’ai encore la force de relever la tête… Je… Y a toujours ces ânes et ces hommes…

Sam : Ha, ma tête… Oh, je les vois aussi… On serait en train de faire le même mirage en même temps ?

Seb : Oh, Sam, j’ai toujours su qu’on avait un cerveau un peu connecté, toi et moi ! Je suis sûr qu’on fait parfois le même rêve.

Sam : Je n’ai jamais rêvé de lutins qui volaient des savons, mais à part ça, c’est possible qu’on soit connecté du cerveau.

Achille : Drake, occupe-toi du plus grand, je m’occupe de l’autre.

Seb : Hein ? Sam tu m’as parlé ?

Sam : Non… Ah, lâchez mon sac à dos ! Eh, qu’est-ce que vous faites ? Je n’ai rien dans mes poches ! Mon sac !

Seb : C’est dingue, le mirage vient de nous voler notre sac à dos…

Sam : Ce n’était pas un mirage en fait ! Il faut les rattraper !

Seb : Ouais !

Sam : … En fait, non. On est bien ici.

Seb : T’as raison. On est parfaitement bien.

(Une demi-heure plus tard)

Seb : Sam ?

Sam :…

Seb : Eh, Sam !!! Ah non ne t’endors pas ! Ne pars pas…

Sam : … Hhh…

Seb : … C’est un gars qui rentre dans un bar, et il dit : « salut c’est moi ! » ... Eh ben c’était pas lui.

Sam : … Pffhaha.

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