Le sommeil perdu



Étendue sur mon lit les yeux grands ouverts, j’écoutais inlassablement le tic tac de l’horloge. Le sommeil avait rompu avec moi. Il m’avait murmuré sans pitié : « si tu regardes encore un épisode avant d’aller te coucher, tu peux m’oublier ! » C’est lui qui m’avait oubliée, moi je l’appelais de toutes mes forces ! Ce bon à rien… Il m’en faisait bouffer, des nuits d’insomnies !

Marre de l’attendre bêtement, je laissai tomber mes supplications et me levai. « Han, on verra bien, après c’est lui qui viendra me chercher en pleurant pour que je le rejoigne ! »

 

Je fouillai dans mon tiroir afin d’en sortir mon vieux MP3 et quittai ma chambre en l’emportant avec moi. Un silence de plomb régnait dans la maison. Les parents s’entendaient toujours bien avec leur sommeil, eux.

Je descendis à pas de souris l’escalier en bois et me dirigeai vers la porte menant au jardin. Une fois à l’extérieur, je fus saisie par la fraîcheur de l’air et réprimai un bref frisson. Je m’amusai à chercher l’exact centre de la pelouse pour m’y asseoir. L’obscurité qui m’entourait me procurait un léger stress agréable, ma robe de nuit volait dans le vent, comme le signe d’une légèreté retrouvée. Les étoiles qui brillaient haut dans le ciel me faisaient penser à des milliers de petits spots braqués sur moi.

Moi, la star de mon jardin, au centre de l’attention du monde. Moi, si vivante dans ce décor vide de mouvement.

 

Concentrée, je me relevai en enfonçant les écouteurs de mon MP3 dans mes oreilles. J’appuyai sur ma musique favorite et inspirai longuement en savourant chaque note qui m’emportaient et me rendaient encore plus puissante. Le show était lancé, mes spectateurs étaient venus nombreux. Mes bras s’élancèrent vers l’avant, puis vers l’arrière. Mes jambes se déplacèrent vers la gauche puis vers la droite. Et mon corps se mit à voltiger dans tous les sens. Je sprintai sur toute la longueur du jardin, d’un sens puis de l’autre. Je jetai mes bras vers le haut, comme pour donner mon énergie aux étoiles. Mes pieds nus sautillaient sur l’herbe douce tandis que ma tête tournait et tournait dans cette danse folle.

 

Enfin, je m’allongeai sur le sol tiède en reprenant mon souffle et fermai à nouveau les yeux. Une musique douce et relaxante avait remplacé la précédente. Mes muscles se décontractèrent, ma respiration et mes pensées ralentirent. Je songeai simplement à ce genre d’escapade nocturne que j’aimais tant. J’avais su pardonner à mon sommeil qui m’avait fait fausse route. Je le sentais déjà se rapprocher timidement. Il était fier de la fatigue que j’avais accumulée pour lui. Nous nous observâmes longtemps dans les yeux, face à face, lui et moi, entre l’herbe et le ciel noir. Il était revenu avec un sourire que je connaissais bien, ce sourire qui te promet de beaux rêves. Nous nous enlaçâmes amoureusement tandis que je perdais doucement le contrôle de mes pensées. Soudain, il m’embrassa et je m’endormis dans ses bras.

 

Il s’en alla d’un coup, me laissant seule devant un soleil rouge et sur un sol humide et glacé. Je m’en voulais d’avoir accepté si facilement de me laisser emporter dans un lieu si inconfortable. Ce sommeil m’en faisait voir de toutes les couleurs, mais lui et moi étions liés à jamais par une force indestructible. Mon besoin de repos.


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