Le chapeau melon
A :
Alors, monsieur Cloud, racontez-moi tout.
B :
Cette nuit, j’ai rêvé de vous, docteur.
A : Ah
bon ? Et que se passait-il ?
B :
Vous m’offriez une glace au schtroumpf et puis vous me regardiez la manger au
bord de la mer. Il y avait d’énormes vagues, et tellement d’écume que vous avez
décidé de vous recouvrir le corps de cette mousse sale. Je me suis réveillé au
moment où vous me demandiez si ça vous allait bien.
A :
Quel rêve étrange !
B :
Oui… Je l’ai raconté à ma fille, et elle m’a dit que j’étais fou. Vous pensez
qu’elle a raison ?
A :
Bien-sûr que non voyons, ça arrive à tout le monde de faire des rêves un peu
tirés par les cheveux.
B : Ah,
vous me rassurez. Je peux vous raconter autre chose ?
A :
Bien-sûr, je suis là pour ça.
B : Ce
matin, en rangeant mes affaires pour le déménagement, j’ai retrouvé un vieux
chapeau melon. Et bizarrement, je l’ai contemplé pendant au moins dix minutes.
J’ai même eu les larmes qui me sont montées aux yeux, et je n’ai aucune idée de
pourquoi.
A :
D’où provient ce chapeau ?
B :
Justement, je ne me souviens plus. Pourtant, il a déclenché en moi une foule
d’émotions très fortes.
A :
Etrange… Quel genre d’émotions ? Tristesse ? Joie ?
Nostalgie ?
B : Je
ne saurais pas dire, un mélange de tout je dirais.
A :
Pensez-vous qu’il vous a appartenu auparavant ?
B :
Non, je crois qu’il appartenait à l’un de mes proches.
A : Un
défunt peut-être ?
B :
Peut-être… En tout cas un être cher, je suppose. Mais regardez, je l’ai pris
dans mon sac avec moi aujourd’hui pour vous le montrer. Tenez.
A :
Mmh… Il a l’air bien usé. Mettez-le pour voir s’il vous correspond.
B :
D’accord …Oh…
A :
Monsieur Cloud, vous allez bien ? Qu’est-ce que vous avez tout d’un
coup ? Arrêtez de sourire comme ça bêtement… Mon Dieu !
Allongez-vous, vous faites peur à voir !
B :
Docteur, je suis homosexuel.
A : Eh
bien eh bien, je ne m’en serais pas douté. Dites-m-en plus.
B : Je
vous aime de trop. Vous êtes un homme extraordinaire qui a bien mené sa vie.
Vos enfants sont beaux, vu les photos sur votre bureau. Votre femme également.
Et vous aussi, vous êtes magnifique. Vous gagnez assez d’argent, vous aimez
l’humour, le sport,… Je crois que vous
êtes parfait.
A : Oh,
ne dites pas ça, ce n’est pas vrai, j’ai beaucoup de défauts. Mais parlez-moi
de vous plutôt.
B : Je
ne suis pas bien dans ma peau. Il faut que je quitte ma femme pour de bon. Je
dois ensuite aller voir ma fille pour lui avouer que son mari la trompe. Et
enfin, je dois arrêter de m’en vouloir de ne pas être triste face au décès de
mon imbécile de mère.
A : Dis
donc, que de révélations ! Continuez, développez…
B : Mon
salaire est trop bas… Je vous envie de trop. Je crois que j’ai envie de vous
tuer. J’ai trop de jalousie en moi face à vous. Je pense que c’est même la
première chose à régler. Oui. Vous tuer tout de suite, c’est ça que je dois
faire. Je vais vous étrangler !
A :
Aaah, stop, vous n’êtes pas sérieux ?!
B : Je
suis ce qu’il y a de plus sérieux, docteur, arrêtez de vous débattre, ça ira
plus vite.
A :
Non, aaargh, lâchez-moi, vous êtes fou !
B : Je
ne supporte pas autant de bonheur devant moi qui n’en ai pas assez !
A : Au
secours ! … Aaargh…
(Le chapeau tombe de la tête de Mr
Cloud et celui-ci tombe par terre, évanoui)
A : Oh
mon Dieu ! Monsieur ! (il lui
donne de petites baffes et Mr Cloud se réveille)
B :
Que… Qu’est-ce que je fais par terre ?
A :
Vous allez bien ? Vous vous êtes évanoui… Rasseyez-vous sur le fauteuil.
B :
Comment ai-je pu m’évanouir ?
A :
Vous avez tenté de me tuer.
B :
Pardon ?? Qu’est-ce que vous racontez là ??
A : Je
vous assure ! C’est au moment où vous avez mis le chapeau sur votre tête
que vous êtes devenu bizarre… Et quand il est tombé de votre tête, vous êtes
redevenu normal.
B :
Vous me dites la vérité ?
A : Bien-sûr, c’est un phénomène très étrange que nous
avons ici… Ce chapeau a un effet particulier sur vous.
B : Vous croyez ? Si je le remets…
A : Non non non, déposez-le ici et n’y touchez
plus !!
B : D’accord d’accord, calmez-vous docteur !
A : On voit que ce n’est pas vous qui venez de vous
faire agresser violement !
B : Si ce que vous avancez est correct, alors
excusez-moi. Je n’ai jamais voulu une telle chose.
A :… Je pense que si au contraire. Vous voulez savoir
mon hypothèse ?
B : Bien-sûr.
A : Je crois que ce chapeau vous fait devenir très
honnête envers vous-même.
B : Pourquoi croyez-vous cela ?
A : Vous m’avez avoué de nombreuses choses dont j’ai le
sentiment que vous ne vous êtes jamais vraiment avoué à vous-même.
B : Ah bon ?? Mais je ne me souviens donc de
rien ? Qu’est-ce que je vous ai avoué ?
A : J’espère que vous êtes prêt à les entendre… D’abord,
vous m’avez annoncé votre homosexualité.
B : … Olala… Je pense que c’est bien vrai. Je ne l’ai
jamais dit à personne. Je le gardais caché au fond de moi, en le sachant très
bien, en réalité.
A : Et à propos de votre femme ?
B : Olala, ma femme… J’ai du mal… Notre couple a du mal.
Et du coup… Je suis en train de me dire que c’est peut-être à cause de ça.
A : Sûrement. Vous m’avez avoué que vous deviez rompre
avec elle.
B : Mon dieu, non… Ça lui briserait le cœur.
A : Ne serait-ce pas encore pire de former un couple qui
ne s’aime pas vraiment ?
B :… Si, vous avez sans doute raison.
A : Alors, qu’allez-vous faire ?
B : Eh bien… Quand je rentrerai chez moi, je suppose que
j’aurai une conversation difficile avec elle…
A : Difficile mais honnête et libératrice.
B : C’est juste.
A : N’empêche, ce chapeau… Il est magique !
B : Voudriez-vous l’essayer ?
A : … Euh… Non non, nous sommes ici pour parler de vous
seulement. Reconcentrons-nous.
B : Je vois bien que vous en avez très envie. Ne vous
gênez pas, je vous en prie. Si quelque chose ne va pas, je vous l’enlèverai
tout de suite.
A : Euh…
(Monsieur Cloud vient
lui enfoncer le chapeau sur la tête)
A : Oulala…
B : Ça va docteur ?
A : Oui, oui ça va. Je suis content que vous soyez ici.
B : Ah bon ?
A : Oui, vous êtes mon meilleur patient. Ce que vous me
racontez est toujours intéressant, vous menez parfois la vie dure mais vous
vous en sortez bien. Je suis fier de vous. En réalité, j’aimerais vous voir
tous les jours.
B : Ca me coûterait bien cher…
A : Non, je veux dire, dans la vie privée, chez un de
nous, au café, au cinéma, à la mer. Je voudrais aller manger une glace au
schtroumpf avec vous, puis mettre de l’écume sur moi pour vous faire rire… Je
voudrais passer tout mon temps en votre compagnie.
B : …Oh mon Dieu… Et dire que vous allez oublier tout ce
que vous êtes en train de me dire… Ça risque d’être gênant à expliquer par la
suite !
A : Je vais oublier ?
B : Quand vous enlèverez le chapeau, vous n’aurez pas le
souvenir de m’avoir dit que vous voudriez passer votre vie avec moi.
A : Mais je ne veux pas oublier ! Je ne vous
oublierai jamais, moi. Vous m’avez avoué tantôt que vous m’admiriez beaucoup
pour la vie que je menais, vous avez dit que j’étais parfait, que vous m’aimiez
de trop… Ça m’a fort troublé à vrai dire. Je me demande si je ne vous aime pas autrement
qu’un simple patient. Et ça me fait peur.
B : Je comprends, moi aussi ça me fait peur.
A : D’abord, je ne suis pas l’être parfait que vous
croyez. J’ai des tonnes de défauts… Je suis perfectionniste, un peu maniaque,
je suis très têtu.
B : Tout le monde a ses défauts, vous n’en avez pas plus
que les autres.
A : Vous êtes beau, monsieur Cloud.
B : … Merci.
A : Moi je n’ai pas envie de vous tuer, non. J’ai envie
de vous embrasser, de vous serrer très fort dans mes bras.
B : Oh… Non, olala ! Je… Docteur…
A : Nous ne devrions pas avoir peur, laissez-moi vous
enlacer.
B : Ecoutez, vous avez une femme, des enfants…
A : Personne n’en saura rien. Et puis, on ne va rien
faire de mal. Laissez-moi, juste un instant.
B : …Non, docteur, stop.
(Mr Cloud retire le
chapeau au docteur. Le docteur tombe par terre, évanoui)
B :
Docteur ! Réveillez-vous bon sang !
A : Oh
ma tête… Que… Que s’est-il passé ?
B : Je
vous ai mis le chapeau. Il a fait effet sur vous aussi.
(Le docteur se relève et se rassoit)
A : Ah
bon ? Qu’ai-je dit ? Je n’ai rien dévoilé de gênant j’espère ?
Rhooo, vous n’auriez pas dû, ce n’est pas professionnel du tout !
B :
Non, ce n’est rien, ne vous en voulez pas.
A : Que
vous ai-je dit ?
B :
Euh… Pas grand-chose…
A :
Dites-moi, je vous en supplie !
B :
Vous m’avez dit que vous me trouviez beau, que j’étais votre meilleur patient
et que vous aviez envie de m’embrasser et de passer votre vie avec moi.
A : Mon
Dieu… Ce n’est pas vrai…
B : Que
faisons-nous maintenant, docteur ?
A : …
(Durant de longues secondes, ils se
regardent dans les yeux sans bouger)
A :
Euh, il est l’heure, monsieur. La séance est terminée… On se revoit la semaine
prochaine ?
B : …
Nous n’allons pas simplement faire comme si de rien n’était tout de même ?
A : Je
pense qu’il le faut, je suis désolé. 73 euros s’il vous plait.
(Mr Cloud lui tend l’argent d’un air
dépité)
A :
Prenez soin de vous, monsieur Cloud. Ne faites surtout pas comme moi :
aller boire un verre chaque samedi rue des Drapeaux à 20 heures n’est sans
doute pas très bon pour la santé.
B :
Samedi…
A : Au
revoir.
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