Les lignes de la main
De son index, avec une infinie précision, elle suit les lignes de ma main. Elle effleure ma peau avec la délicatesse d’une plume. Je ne saisis pas ce qu’elle me raconte, je n’en écoute pas un mot. Je crois comprendre qu’elle parle de destin, de famille, de chance, de poussière d’étoile, d’amour… Sa voix roule dans mes oreilles comme une chanson douce.
Je suis hypnotisée.
J’oublie la fête autour de nous, le bruit de conversations, les rires, la musique. Tout disparait, il ne reste que nous, assises côte à côte à cette table à la nappe tachée et envahie de vaisselle sale. Je ne vois qu’elle, ses yeux concentrés sur ma main, je ne sens que son souffle tiède qui ricoche sur mon bras nu, je n’entends que le son de sa voix lisse et rassurante. Je sens mes muscles se relâcher petit à petit. Cette soirée me stressait tellement, je n’avais pas très envie d’être là, parmi cette foule de personnes que je connaissais si peu, ce vacarme assourdissant. Mais elle… Elle exerce sur moi un véritable pouvoir de relaxation. Je veux rester assise le bras tendu vers elle jusqu’à la fin de la fête.
Soudain, un grand chauve s'approche et nous sort brusquement de notre cocon.
- Ça gaze ? Vous v'nez pas danser ?
Enthousiaste, ma nouvelle amie se lève d’un bon et s’envole vers la piste de danse accompagnée du garçon.
Je suis dépitée. Seule sur ma chaise en plastique, je suis encore dans une sorte d’état second, à moitié endormie. Mais au fur et à mesure que les minutes passent, je me rends lentement compte que je ne dois pas avoir fière allure. Ma joue est écrasée sur mon coude posé sur la table, mon autre bras est encore tendu bêtement. Il n'y a plus personne autour de moi. Le reste de la foule est sur la piste de danse ou devant le bar au fond de la salle de fête.
Je me réveille complètement. Il faut que je m’en aille, je ne suis pas à ma place ici. Cette fille ne semble pas vouloir revenir parler avec moi, et encore moins me caresser le bras. Je me décide donc à me lever et aller chercher mon manteau dans le vestiaire. J’y croise Arnaud, mon ami qui m’a convaincue de venir :
-Tu t’en vas déjà, Alix ?
- Ouais, je suis crevée…
- Tu t’es pas trop ennuyée finalement ?
- Boh non, j’ai parlé avec ta cousine, elle est sympa.
- Ah, Julie ? Je savais que tu allais bien t’entendre avec elle !
Sur un coup de tête, il m’ordonne de rester là et court vers la fameuse Julie pour la pousser vers moi.
- Alix s’en va, Ju’, tu veux pas lui dire au revoir ?
- Ah tu t’en vas ! Mais on n’a pas regardé l’avenir sur ton autre main !
Je lui offre un sourire sincère et chaleureux, tout en haussant les épaules. Je ne me sens pas de faire demi-tour et de me rasseoir à la table… Je me suis déjà sentie assez ridicule pour la soirée.
- Faudra qu’on se revoie pour faire ça alors, je lâche timidement.
Dans un élan d’affection, elle me prend dans ses bras.
- Oui, on fera ça !
À regret, je m'arrache de son étreinte pour enfiler mon manteau et m'enfuir de tout ce vacarme.
Seule dans l’obscurité de la rue, dans la fraicheur de la nuit, je repense en marchant à cette fille si spontanée, si douce… Allais-je oser avouer à qui que ce soit que le seul instant de cette soirée qui m’a plu, c’est lorsqu’une inconnue a suivi les lignes de ma main ?
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